Nous publions un article de M. Antoine Luciani, agrégé de lettre classiques, ancien professeur de grec à l'université de Corse. Monsieur Luciani est notamment l'auteur d'un opuscule de grande qualité, "La nécessaire sécession", traçant les lignes d'un nationalisme corse authentique, en rupture avec les idéologies héritées de la république française.
De récents événements ont posé
avec acuité le problème de l’accueil et du « vivre ensemble ».
Il ne pouvait en être autrement à
notre époque dite « post-moderne ». L’époque « moderne » se
caractérisait par la déification de la Raison - avec son cortège :
Science, Progrès, Bonheur – qui vit éclore les grandes utopies du 19ème
siècle, dont Victor Hugo fut le chantre merveilleux et émerveillé (Temps
futurs, vision sublime / Les peuples sont hors de l’abîme…). Elle finit, comme
toute les utopies, dans la dictature et les massacres. La Raison qui, étant
universelle, et en quelque sorte transcendante à chacun de nous, permettait les
grandes entreprises collectives, se replia alors sur l’individu : à chacun
sa raison, à chacun sa vérité. Ainsi naquit l’époque « post-moderne »
qui est la nôtre. L’Etat, renonçant désormais à ses fonctions régaliennes (assurer
le Bien commun et travailler à la gloire de la Nation) se donna pour but de permettre
et de garantir l’épanouissement de chacun. Du gouvernement on passa à la
gouvernance. L’individu est promu Roi, et ses besoins, ses désirs, ses
aspirations deviennent des droits, exigibles. C’est là l’essence du
« libéralisme » de l’ « Etat bourgeois » qui domine en
Europe comme en Amérique.
Pascal Salin, dans son ouvrage de
référence « Libéralisme » le résume ainsi : « On
reproche au libéralisme d’être matérialiste, de prôner la poursuite exclusive
de la richesse aux dépens de tout autre valeur, alors qu’il n’a d’autre
aspiration que de permettre l’épanouissement des êtres humains et la
réalisation de leurs objectifs spirituels, affectifs, ou esthétiques autant que
matériels. On lui reproche d’être sauvage, alors que, fondé sur le respect
intégral des autres, il exprime l’essence même de la civilisation. Ce qui
caractérise le libéralisme, c’est la reconnaissance du droit de propriété et la
liberté contractuelle ». Voilà qui est parler d’or. Voilà qui est
séduisant ; le monde occidental ne dit pas autre chose. Le libéralisme
implique évidemment la « pluralité des valeurs », toutes
respectables. Et fleurissent la tolérance, l’échange, le dialogue, l’écoute, et
le respect d’autrui, etc.…
Mais comment faire « vivre
ensemble » des gens que tout sépare, race, culture, religion ou
irreligion, vision du monde ?
Les bergers des Alpes ont éprouvé
cette difficulté lorsqu’on a introduit des loups dans leurs montagnes.
Comment faire coexister les loups et les brebis ? Ou bien on les séparait
- et alors ils n’étaient plus ensemble,
- ou bien on demandait aux loups de renoncer à leur nature de loups - et alors
on tombait dans l’intolérance. Mais le « vivre ensemble » était
impossible.
Le bon sens paysan rejoint ici
les analyses des sociologues. Léo Strauss, et bien d’autres, ont fait remarquer
que vouloir la pluralité des valeurs c’est nécessairement accepter les valeurs
exclusives des autres. La contradiction est insurmontable. Certes, l’idée de
« laïcité » peut faire illusion. Autour d’elle se regroupe tout le
monde politique, dans l’Europe entière. L’Etat est neutre : sa valeur à
lui - les « valeurs républicaines » - c’est d’admettre toute les
valeurs. Fort bien. Mais qui évaluera les valeurs ? Pourquoi les « valeurs
républicaines » seraient elles supérieures aux valeurs islamiques,
chrétiennes, bouddhiques, etc. ? Personne n’en a trouvé la raison. Il faut
bien reconnaître que cette « valeur républicaine » est destructrice
de toutes les autres, et, finalement, destructrice d’elle-même : quand
tout se vaut, rien ne vaut. Le nihilisme est au cœur de la République
post-moderne.
C’est dans ce monde
« post-moderne », que se pose le problème des migrants. Dans un tel
monde, malgré le leurre de la laïcité,
le problème est insoluble, et les affrontements inévitables entre
« valeurs plurielles »… et opposées.
Mais qu’en serait-il si nous
vivions dans un état chrétien ? Il puiserait son inspiration dans l’Évangile.
Prenons la parabole célèbre du Bon Samaritain (Luc,10, 29-37). Un homme
(probablement un juif, mais Jésus ne retient que sa qualité d’homme) descendait
de Jérusalem à Jéricho. Des brigands le rouent de coups et le laissent à demi
mort. Passe un prêtre, qui, le voyant, prend l’autre coté de la route. Un
lévite, après lui, fait de même. Est-ce par indifférence ? Non. Ce sont
des religieux, personnages importants, qui obéissent aux prescription
légales : il faut éviter tout contact avec un homme mort, ou demi-mort,
pour ne pas être contaminé (Lv,21,1). Et la loi étouffe en eux l’humanité.
Survient un Samaritain – un étranger et, de plus, un hérétique - . Lui n’écoute
que son cœur. Il est pris de pitié (cette pitié qui remue si souvent les entrailles de Jésus). Il s’arrête, va à cet « homme »,
dont le malheur fait un frère ; il
panse ses plaie, l’emmène à l’hôtellerie pour que l’hôtelier le soigne, et
promet à ce dernier de lui payer le reste à son retour. Deux deniers :
c’est la valeur de deux journées de travail. Le Samaritain n’a pas sur lui une
grosse somme ; il donne tout ce qu’il peut ; mais sa charité ne
l’empêche pas de vaquer à ses affaires : il a aussi une famille à
nourrir ; il se réserve donc un peu d’argent pour continuer son voyage.
Tout cela est à noter, mais nous noterons surtout la différence entre sa
situation et celle qui serait la sienne s’il vivait à notre époque. Pour le
Samaritain d’alors le blessé n’a aucun droit (Jésus ignore les droits de
l’Homme). Ce qui le pousse, c’est uniquement son cœur. Il soigne le blessé
parce qu’il est bon. De nos jours il y serait contraint par la loi.
« Non assistance à personne en danger ». Autrement dit, il serait
obligé, sous peine de sanction, de faire la charité. Et il pourrait la faire,
si l’on peut dire, la haine au cœur. Exactement comme le prêtre et le lévite
dont il est question dans la parabole. La vraie charité ne peut être imposée par
la loi, elle la déborde. Quand l’Etat nous somme d’accueillir les réfugiés, au
nom des « valeurs républicaines », il nous ramène au temps des
Pharisiens, au temps de la Loi : charité obligatoire, et ce avec l’argent
public ! De plus, il contredit ces valeurs dont il se réclame ; car,
selon ces valeurs, il devrait les accueillir tous. Les demandeurs
d’asile ont des droits, selon l’état libéral, et exigibles. Misérable
restriction que celle d’un Rocard, souvent citée comme modèle de sagesse.
« Nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ». Il faut
l’accueillir, dût la France en crever, si l’on est libéral au sens de Salin. Nous
dirons même davantage : nous devons accueillir tout le monde. Si vraiment,
selon la philosophie de l’âge « post-moderne », chaque individu a le
droit de s’épanouir librement, comment l’empêcher de venir en France, s’il ne
peut s’épanouir que là ?
Nous noterons enfin que le Samaritain
de l’Evangile ne ramène pas le blessé
chez lui, mais le rend aux siens. Pourquoi ? On oublie facilement,
aujourd’hui, que nous avons une famille, une patrie, qui sont notre milieu
naturel, le terreau nécessaire à la vie humaine. Le bon Samaritain se garde
bien d’ « assimiler » le malheureux ; il le renvoie dans ses
foyers où il se sentira mieux que partout ailleurs. Cela aussi est de la
charité ; mais l’âge « post-moderne » déracine et déshumanise
sans état d’âme. Il est, par nature, cosmopolite et apatride.
L’Hospitalité ! On oublie
que l’hôte ne doit pas forcer la porte, armé des Droits de l’Homme ; par
définition, il ne s’installe pas chez son hôte pour toujours. Sa présence est
transitoire. Sinon, ce ne serait pas un hôte. Mais, comme hôte, nous le
traitons avec respect et avec honneur, C’est cela l’hospitalité corse, qui a
ses racines dans la plus haute antiquité, et que le christianisme a transfigurée.
Victor Hugo le savait toujours. Lisez sa poésie intitulée Le Pauvre.
Notre temps l’a oublié. Et c’est le drame de notre époque.
Que faire, face aux
migrants ?
A leur sujet, les gens sont
divisés. Alors on en appelle au « dialogue » cher à l’Etat bourgeois.
Nous voyons même des hommes d’Église inviter les différentes parties à
discuter, au nom de l’Évangile. Les intentions sont excellentes. Mais le
résultat dément les espérances. En effet, dans l’Etat libéral, nécessairement
laïque, on doit, ou bien se soumettre aux « valeurs républicaines »
et renoncer à son identité, ou bien, si on veut l’affirmer, se révolter contre
l’Etat. Dans ces conditions tout dialogue est vain, et voué à l’échec. Il
attise les tensions au lieu de les apaiser. D’autre part, comment ne pas voir
que d’habiles faussaires, manipulant quelques naïfs, camouflent derrière
l’Evangile le grand dessein luciférien d’effacement des frontières,de métissage
général, et de déculturation, afin d’asseoir le pouvoir du Prince de ce
monde ? Et, pour cela, de détruire avant tout le christianisme ?
L’antiracisme et « l’accueil de l’étranger » ne sont que des
prétextes. Le problème des migrants n’a pas de solution dans l’Etat libéral,
mais il sert le mondialisme athée.
Pourtant une solution existe,et
c’est la seule : refaire un état chrétien, rayonnant de la charité du
Christ, où chacun de nous pourra librement être le Bon Samaritain.
A.
Luciani.
excellent article (comme toujours!)
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